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Á LA DURE

À la dure
PAR JEFF O’CONNE

QUAND LES CHOSES SE CORSENT, J. LO ET JENNIFER GARNER S’EN REMETTENT À DANIELLE BURGIO


Imaginons-nous en train de tirer notre ennui au cours de sciences nat’. Le squelette humain paraît si fragile qu’on souhaiterait que la peau soit du papier à bulles portant une étiquette “À manipuler avec précaution”. Cascadeuse à Hollywood, Danielle Burgio expose volontairement cette frêle structure au danger et cesse de solliciter son enveloppe charnelle uniquement lorsqu’elle est sur le point de se retrouver en sang. Afin de se protéger contre les formes de maltraitance les plus extrêmes, elle enroule son corps dans du tissu… musculaire, évidemment!
Pour la majorité d’entre nous, se retrouver dans une voiture accidentée qui est la proie des flammes ou être projeté par une fenêtre du cinquième étage équivaut à un aller simple pour l’autre monde. Pour Burgio, c’est simplement la routine.
“Moi, je ne compte pas,” déclare-t-elle sans mâcher ses mots. “Ce n’est pas le cas de Jennifer Garner.”
En plus de son rôle comme star de Daredevil, Burgio a “doublé,” entre autres, Kelly Hu (Martial Law), J.Lo ( Monster-in-Law) et, ce que l’on connaît le mieux, Carrie-Anne Moss (la suite de Matrix). Comme Burgio crée l’illusion tous les jours, il n’y a rien d’étonnant à ce que Matrix ait transformé sa vie professionnelle. Elle a débuté comme danseuse à Broadway et souhaitait devenir actrice. C’est dans un cinéma de Los Angeles qu’un jour, totalement subjuguée par une silhouette en train de combattre sur l’écran, elle a décidé de devenir cascadeuse: “Avant Trinity, je n’avais jamais vu d’héroïne de film d’action et comme beaucoup de femmes, je me suis dit, Je veux vraiment lui ressembler.”
Quatre ans plus tard, elle avait réalisé son rêve, au sens propre du terme: elle doublait Moss à chaque fois que les choses se corsaient avec l’agent Smith et ses acolytes dans The Matrix Reloaded et The Matrix Revolutions. “Je me souviens que lorsque j’ai obtenu le rôle, de nombreuses cascadeuses à Hollywood s’interrogeaient : ‘Danielle qui?’. Elles étaient furieuses. J’avais vraiment l’impression de vivre mon rêve.”

COUP DOUBLE
Comment donc a-t-elle pu connaître le succès si rapidement? “Je remercie mon père et ma mère de mon ambition démesurée,” explique Burgio. “Quand j’ai décidé de devenir cascadeuse et que je me suis dit, ‘Bon, c’est ça que je vais faire,’ j’ai laissé tomber mes autres activités afin de consacrer toutes mes journées à m’entraîner ou à parcourir la ville de manière à convaincre les coordinateurs de cascade de m’engager. Je m’entraînais et je cherchais du travail sans relâche.”
C’est peut-être pour cela que sa carrière de cascadeuse suit une trajectoire qui évoque celle de l’homme canon. Elle a eu aussi la chance d’être la personne qu’il fallait et de se trouver au bon endroit au bon moment. Ces dernières années, les cascadeuses sont de plus en plus recherchées, grâce à des films qui mettent en scène des femmes d’action, comme Charlie’s Angels et Lara Croft: Tomb Raider, sans compter les innombrables clones cinématographiques générés par ces énormes succès commerciaux. Les cascadeuses sont majoritairement d’anciennes gymnastes et généralement menues. Avec ses 1,70 m, Burgio représentait donc la doublure idéale pour des actrices plus sculpturales comme Garner. Ajoutés à ses compétences en arts martiaux, ses talents de gymnaste et de danseuse ont constitué le tiercé gagnant aux yeux des coordinateurs de cascade.
Sa silhouette athlétique a tellement impressionné son entourage qu’ils se sont mis à solliciter des conseils d’entraînement. Résultat: The Stuntswoman’s Workbook (Quirk Books, 2005), écrit par Burgio en collaboration avec Jennifer Worick et préfacé par le metteur en scène John Carpenter, dont le film Vampires a donné à Burgio l’occasion de se produire comme cascadeuse. Dans cet ouvrage, on trouve un programme d’entraînement en résistance particulièrement valable (voir “Bras et Abdos”) ainsi que des conseils et des travaux pratiques destinés à augmenter la force, l’endurance, la concentration, la souplesse, la coordination et la vitesse.
“J’ai la grande chance de pouvoir vivre de mes rôles et je souhaite donc influencer les gens afin qu’ils se lancent dans les activités sur lesquelles ils ont toujours fantasmé, que ce soit l’escalade, le parachutisme, ou autre,” explique-t-elle au sujet de sa philosophie qui consiste à prendre plaisir à la vie en plein air. “Chacun peut trouver son compte.”

LE BOULEVARD DES FRACTURES
L’armure que Burgio a forgée autour de son corps se révèle pratique sur les tournages. Si on l’interroge sur ses blessures, elle vous répondra qu’heureusement, elles ont été rares — avant de se mettre à en réciter la liste interminable. Nez cassé. Côtes brisées. Un traumatisme cervical grave qui lui a permis de découvrir la chiropractie et le Vicodin. Des contusions si nombreuses qu’on en perd le fil, ainsi que quelques belles estafilades. Des entorses sévères aux deux chevilles. Le menton fendu par le milieu.
Prend-on parfois plaisir à avoir mal? “Oui, je l’admets,” avoue-t-elle. “Est-ce que je vais passer pour une malade? On souffre et on passe tous par des moments où l’on se plaint, où l’on se réveille le matin en se demandant, Pourquoi est-ce je m’inflige cela? Tout mon corps est couvert d’hématomes, de sang, etc. Mais les cascadeurs sont fiers de leur métier et, quand on prend un mauvais coup, on a le sentiment de justifier notre existence: cela signifie: ‘Vous voyez, cela, l’acteur ne sait pas le faire — c’est à nous d’y aller, parce qu’on est des durs !’”

AMBITIONS
Il faut appartenir à une espèce tout à fait à part si l’on veut être capable d’endurer de telles souffrances pour obtenir une réussite qui se résume à rester invisible à l’écran et anonyme dans la rue. On ne doit pas s’engager dans ce métier à la légère. Des écoles ont été ouvertes pour former celles et ceux qui aspirent à devenir doublures, mais Burgio précise qu’aucun de ses collègues ne les a fréquentées. Ce n’est pas d’un diplôme que les cascadeuses et les cascadeurs ont besoin, mais d’un courage à toute épreuve. Ils doivent également se déplacer rapidement et posséder une vivacité et un sens de l’observation au-dessus de la moyenne. Quand leur parcours ou leur expérience ne leur apporte pas la réponse à telle ou telle situation, ils doivent réagir dans l’instant. La pratique de la gymnastique ou du trampoline aide beaucoup, car elle enseigne la maîtrise et le contrôle d’un corps dont les mouvements dans l’espace sont imprévisibles. En outre, vu l’obsession d’Hollywood de tourner les scènes de bagarre comme des ballets, les arts martiaux font actuellement aussi partie de l’entraînement.
“Je dirais qu’il faut, au bas mot, trois ans, ne serait-ce que pour débuter,” ajoute Burgio. “Puis encore deux ans avant de commencer à être vraiment connu et se voir proposer les trucs intéressants. En effet, au début, les coordinateurs ne confient pas les cascades dures et effrayantes à un inconnu. Il faut du temps avant de se faire un nom et une réputation. C’est alors seulement qu’on a le droit de se faire emboutir par une voiture,” ajoute-t-elle en riant. M&F
AOÜT 2005