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LE COURAGE EN MARCHE

Le courage en marche
Simon Robinson était champion de bodybuilding quand un accident de voiture lui a coûté la jambe droite. Heureusement, son cœur représentait son groupe musculaire le plus performant.
PAR JEFF O’CONNELL


1) Une flaque d’huile sur une route sinueuse quelque part en Angleterre le 25 mars 1998: en un clin d’œil, la BMW de Simon Robinson dévie de sa route.
La voiture a changé de direction, un camion de lait approchait. Résultat, un choc frontal. Simon n’a aucun souvenir de la collision. Il peut rendre grâce à cette amnésie: il ne se souvient pas de sa rate éclatée, de ses vertèbres brisées, de ses épaules déboîtées, de ses deux jambes en miettes, de sa mâchoire, de son nez et de sa pommette fracturés, cette dernière en trois endroits différents. Il ne se rappelle pas avoir été coincé dans son véhicule et ramené à la vie. C’est Kerry Kayes, la personne chez qui il se rendait le jour de l’accident, qui se charge du récit au petit déjeuner, six ans plus tard. Simon est tout ouie. Cette flaque d’huile a changé définitivement le cours de sa vie.
En bouleversant l’avenir de cet homme de 31 ans à ce moment précis, le destin n’aurait pu se montrer plus cruel. Simon a fait partie des espoirs du football et aurait presque pu passer professionnel. Puis, à un combat près, il a failli représenter l’Angleterre en taekwondo aux J.O. de Séoul. Enfin, après 10 ans d’une ascension difficile, il avait atteint le sommet en bodybuilding, avec une victoire au championnat britannique de la World Amateur Bodybuilding Association (WABA) grâce à un physique hyper travaillé de 109 kg.
C’est le corps de cet athlète qui gît à présent en miettes dans l’unité de soins intensifs de l’hôpital Royal Oldham. Comment soigner de telles blessures? Par où commencer? Une fois le grave traumatisme crânien réglé, les urgentistes ont saturé son sang de médicaments puissants afin de plonger le patient dans le coma. Ce n’est qu’à ce moment-là que les chirurgiens ont pu entreprendre la difficile tâche de reconstituer son squelette. Les blessures les plus invalidantes se trouvaient sur la jambe gauche de Simon, une bouillie sans nom en dessous du genou: tous les muscles du mollet étaient arrachés. Des plaies béantes et les infections qui en résultaient avaient rendu la jambe gangréneuse. On lui a administré des doses massives d’antibiotiques, mais l’infection n’a pas stoppé son ascension. Le 2 avril, n’ayant plus le choix, les chirurgiens ont commencé par amputer la jambe en dessous du genou, ce qui aurait permis à Simon de marcher plus facilement par la suite. L’infection ayant quand même continué de grimper, il leur a finalement fallu sectionner la jambe plus haut que le genou afin de sauver la vie de Simon. Moins de 12 heures après la seconde opération, sa température a enfin commencé à baisser.
En des jours plus heureux, Simon était l’un des neuf enfants d’une famille de Mansfield, au cœur de la région britannique des aciéries. Ses jambes semblaient alors faites pour le porter loin de ce sinistre environnement. Il apprenait vite et excellait au rugby, au javelot, au cricket, en fait dans presque tous les sports qu’il pratiquait. Néanmoins, ce fut sur le gazon vert du terrain de football qu’il a trouvé sa porte de sortie. Simon était tellement doué qu’il a atteint un niveau national avant d’essayer d’intégrer des équipes professionnelles; cependant, à cause de sa vue, il n’a pu réussir. Il ne pouvait pas porter de lunettes en jouant, et ni son père, mineur, ni sa mère, ouvrière d’usine, ne pouvaient s’offrir le luxe de lui acheter des lentilles de contact, ils avaient trop de bouches à nourrir à la maison.

2) APRÈS L’ACCIDENT, la compagne de Simon, Louise Parkin, et la famille élargie montaient la garde devant la porte de l’unité de soins intensifs. Avec eux se trouvait Kayes, un pilier de la scène du bodybuilding britannique, associé de Dorian Yates dans le commerce des suppléments. Avant l’accident, il était le mentor de Simon. Ce terme est plus qu’insuffisant pour décrire ce qui les unit à présent.
Au bout de près de deux semaines et après d’innombrables opérations, il était temps de faire sortir Simon du coma. Il arrive que des patients dans cette situation deviennent violents contre leur volonté: le personnel de l’hôpital a donc demandé à Kayes de veiller à ses côtés. Ne sachant à quoi s’attendre, il avait emmené avec lui un autre bodybuilder. Il a fallu à Simon presque une journée entière pour sortir du coma, avec des hauts et des bas. Il devait démêler les rêves de la réalité. Il a enfin réussi à fixer le visage de Kayes. Simon a essayé de parler, mais sa mâchoire était encore pleine de fils.
“J’ai dû expliquer à Simon qu’il avait eu un accident de voiture,” se souvient Kayes. “Il ne pouvait pas parler et bougeait à peine, mais il a commencé à être très agité. J’ai tout de suite compris qu’il se croyait défiguré. J’ai donc dit immédiatement à l’une des infirmières, ‘Donnez-moi un miroir, vite!’ Je l’ai placé devant le visage de Simon. Son corps était recouvert d’un drap blanc et il alors tiré sur l’une de ses jambes qui était sous traction. J’ai expliqué, ‘Simon, tu as la jambe cassée.’ Puis il a tiré sur son autre jambe et un moignon est apparu sous le drap. Son visage est devenu exactement “comme ça,” raconte Kayes en ouvrant grand les yeux afin d’imiter une expression horrifiée. “Je l’ai pris dans mes bras et lui ai dit, ‘Simon, il a fallu te couper la jambe.’ Qu’est ce que je pouvais dire d’autre?”
Au nombre des expériences irréelles vécues par Simon au sortir du coma se trouve le phénomène connu sous le nom de douleur fantôme. Il n’avait plus de pied gauche, mais il le sentait toujours. Par ailleurs, il commençait à payer le prix de tous les remèdes qu’on lui administrait. Le 16 avril, il a commencé à vomir du sang. Il avalait quantité d’antalgiques et d’innombrables médicaments contre la fièvre: tous ces produits chimiques qui transitaient par son estomac ont fini par perforer la muqueuse, causant cette intense hémorragie interne. Il a fallu l’opérer de nouveau pour lui enlever un petit morceau d’estomac.
Fracturées en 10 endroits différents, la jambe gauche de Simon était tellement endommagée que dans presque tous les cas de figure, elle aurait dû aussi être amputée. La réussite n’était absolument pas certaine, mais les médecins ont fait le choix de mener ce qui allait être une longue et difficile bataille pour la sauver. Simon avait déjà perdu une partie d’une jambe et s’il devait également être amputé d’une portion de la seconde, cela le laisserait grandement diminué pour le reste de ses jours. Les chirurgiens ont aussi remarqué sa superbe condition physique de champion de bodybuilding. Si quiconque possédait la capacité de sauver son autre jambe, c’était bel et bien Simon lui-même.
Ils avaient raison de penser qu’il ne jetterait jamais l’éponge. Lorsque le rêve de Simon de devenir joueur de foot professionnel a été brisé, ne l’a t-il pas remplacé avec une passion égale par un art martial avec coups de pieds, le taekwondo? À la fin des années 80, il était sans conteste le meilleur poids moyen britannique. Il cherchait à obtenir une place dans l’équipe olympique: le taekwondo allait être présent à titre de sport de démonstration aux J.O. de Séoul en 1988. Après de nombreuses controverses, il a manqué de faire partie de l’équipe à une place près.

3) UN VIEUX PROVERBE CHINOIS DIT qu’un voyageur en partance pour mille kilomètres commence par faire un pas, mais après son accident, Simon n’aurait même pas été capable de ramper. “J’ai demandé aux infirmières de placer un de ces arceaux au-dessus du lit car je voulais essayer de l’atteindre, mais je n’y arrivais pas,” raconte Simon. “Je n’en avais pas la force; l’infirmière devait placer mon bras dessus. C’était incroyablement fatigant. Cela prouve à quel point j’étais faible.”
Se lever était un immense défi. Autrefois si simple, ce mouvement était devenu plus difficile que le plus physique de ses entraînements de bodybuilder. Quand il a recouvré assez de force pour sortir de son lit, il a dû réapprendre à marcher. Au cours de cette première année, les progrès se mesurent en termes de déambulateur, béquilles et chaise roulante. Il a aussi testé différentes sortes de prothèses. Les “emmanchures” devaient être ajustés au fur et à mesure que l’enflure autour du moignon de sa jambe gauche se résorbait. Pour sortir d’un tel abîme, la progression était extrêmement lente, mais Simon avançait pas à pas.
Un facteur au moins a rendu ce retour possible: il avait déjà fait l’expérience de la bataille quotidienne que représente l’entraînement d’un bodybuilder. Simon a vraiment commencé sérieusement la musculation quand il s’est mis à rechercher la puissance pour le taekwondo. Cette discipline l’a tellement emballé qu’après avoir été évincé des Jeux olympiques, il s’est décidé à entamer une carrière de bodybuilder. Sa grande rapidité ne représentait plus un atout, mais il avait par nature les qualités d’un athlète, ce qui lui a rendu un grand service. Six mois plus tard, en 1990, il a remporté un concours local, puis une compétition régionale, le championnat des North Midlands organisé par l’English Federation of Bodybuilders (EFBB), dont la promotion est assurée par Peter McGough, actuellement rédacteur en chef de l’édition américaine de Flex. Écoutons McGough : “Il avait un physique intéressant à l’époque, mais si j’en juge les photos que j’ai vues de lui avant son accident et les conditions en Grande Bretagne, je pense qu’il avait toutes les chances d’obtenir sa carte de professionnel au championnat britannique [EFBB].”
À la fin des années 90, après une longue et difficile ascension, Simon semblait sur le point de recevoir cette récompense et il a atteint au moins l’un des sommets du bodybuilding britannique avec le titre WABA 1998
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4) ENFIN CHAMPION, Simon a pris sa voiture pour parcourir les 150 km environ jusqu’à Mansfield dans le but de rencontrer Kayes à Manchester. Les deux hommes ont passé du temps à la salle, puis se sont rendus à l’usine de suppléments Dorian Yates Approved, élaborant tous deux des plans pour l’avenir de Simon. Tard dans l’après-midi, celui-ci a repris sa voiture afin de rentrer chez lui. On suppose qu’un camion-citerne avait une fuite, laissant derrière lui une traînée d’huile de 40 km. Ce soir-là, il y a eu presque une douzaine d’accidents sur ce tronçon de la route. Celui de Simon a été sans conteste le pire. Après trois mois d’hospitalisation, Simon a fini par regagner son domicile. Kayes déclare que jusqu’à ce jour, il n’a jamais entendu son ami maudire son destin. Après son accident, sa première rencontre avec McGough remonte à 2000, à l’occasion du Grand Prix de Grande Bretagne. “Un banquet avait lieu après l’épreuve; je me rends au bar, et là, un gars se met à me parler: ‘Comment tu vas, Pete? Ça fait un bout de temps qu’on ne s’est pas vus,’ et là, tu vois, j’ai soudain compris que c’était Simon. J’étais au courant pour l’accident, mais jamais il ne m’a dit, ‘Tu as appris ce qui m’est arrivé? J’en ai vraiment bavé.’ Il faisait comme si de rien n’était et c’est ce qui caractérise sa personnalité. Il a perdu quelque chose et il assume, c’est tout.”
Moins d’un an après l’accident, Simon était de retour à la salle. Désormais, ses entraînements sont différents. La perte d’un membre a des conséquences sur tous les aspects de l’entraînement car l’équilibre est modifié. Quand on s’allonge sur un banc pour le développé couché, on commence par ancrer les pieds au sol, chose que Simon ne peut plus faire. Il a compensé en passant beaucoup de temps sur un banc, à monter et descendre une barre vide afin d’apprendre comment utiliser les abdos pour garder son corps immobile. En ce qui concerne le travail des jambes, les modifications sont plus évidentes. Ne pouvant plus pratiquer le squat, Simon compte exclusivement sur le leg extension, le leg curl et la presse oblique. Tous les mouvements doivent être effectués sans à-coups; sa prothèse ne doit pas recevoir de choc. Il doit limiter le cardio et est obligé de le pratiquer sur un vélo allongé. Comme sa jambe valide supporte pratiquement tout le poids du corps, Simon en souffre après les séances d’entraînement et les marches longues: il en sera toujours ainsi.
Cet accident a modifié son corps, mais il a laissé intact l’essentiel de sa personne. Il est toujours pour Louise un compagnon très présent. Pour leurs filles Teagan, 11 ans et sa petite sœur, Tia, 2 ans, il est resté un père plein d’affection. Il continue de recevoir les enseignements de Kerry Kayes, l’ami et mentor extraordinaire à qui il avait rendu visite en ce jour fatal de 1998.
Son amour du bodybuilding reste également intact. C’est peut-être ce qui lui a sauvé la vie lors de l’accident. Aux moments les plus sombres de sa convalescence, cela lui a fourni un but alors qu’il aurait été facile de ne plus en avoir. Depuis son accident, il a fait de nombreuses apparitions en tant qu’invité, mais il n’a plus participé à des concours. Il était réputé pour sa symétrie et les critères de jugement ne prennent pas en compte un membre amputé. Il n’existe pas non plus de points de bonus pour ce qui est dissimulé sous la montagne de muscles. Cet homme s’évalue par la taille de son cœur et cela, on ne le voit pas! M&F
JANVIER 2005