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LE PROCHAIN HÉROS D'ACTION

LE PROCHAIN HÉROS D’ACTION
PAR STEVE STIEFEL

“Je veux mon étoile sur le Walk of Fame,” déclare Kevin Levrone. “Vu que je n’ai pas décroché de Sandow, une étoile sur le Hollywood Walk of Fame sera mon trophée suprême.” Bien que Kevin soit encore bien loin de voir son rêve se réaliser – il est attablé dans un boui-boui plutôt glauque d’un coin peu peuplé de la Trinité, île des Caraïbes, et sirote un vodka framboise additionné de Coca light et de glaçons – la concrétisation de cet espoir est peut-être bien moins lointaine que ne le laisserait imaginer la distance entre cette île et Hollywood!

Le patron du De Monkey Bar est un bonhomme rondelet d’origine hindoue que Kevin appelle Rambo: quoique absurde, ce surnom paraît pourtant suffisamment plausible dans ce cadre inhabituel pour qu’on ne se pose pas de questions. Si le De Monkey Bar avait un autre client, on pourrait s’attendre à ce que ce soit Ernest Hemingway, racontant d’une voix embrumée par l’alcool, comment le gros poisson lui a échappé.
Kevin est venu à la Trinité pour un rôle important dans Backlash, un thriller plein d’action réalisé par Triton Northstar Entertainment. “Quand j’ai obtenu le rôle, j’ai téléphoné à Arnold et je lui ai demandé quel cachet je devais demander. Il m’a répondu: ‘Fais-le pour la publicité personnelle que tu vas en tirer et aussi pour ta carrière.’ Je lui ai dit : ‘D’accord, mais on devrait me payer combien?’” Kevin Levrone a tendance à voir grand d’un coup et il n’y va pas par quatre chemins. C’est peut-être pour cela que, moins d’un an après s’être installé à Hollywood, il connaît déjà le succès dans l’industrie du cinéma.

PERSONNAGE ASSASSIN
Dans Backlash, il incarne Gunner Tester, surnommé “Turk”, un ancien agent de la CIA devenu tueur à gages. “Ce personnage est fictif, mais j’ai l’impression d’être lui,” déclare Kevin, tirant sur la petite serviette qu’il a autour du cou: il ne porte qu’un short ample et cette serviette. “C’est ce que j’adore dans ce métier d’acteur. J’écoute de la musique d’opéra. J’ai travaillé pour la CIA. Je porte un costume entièrement noir, mais quand la bagarre éclate, je l’enlève et je le plie soigneusement.” Kevin ne s’aperçoit même pas qu’il ne fait plus très bien la distinction entre son personnage et lui-même: il pourrait être un tueur des Caraïbes, envisageant d’assassiner le journaliste qui est assis en face de lui. Cependant, le vrai Levrone lance: “Hey, Rambo. Apporte-nous encore une tournée.”
Aujourd’hui, Kevin affiche un physique tonique dont le poids n’est plus que de 95 kg, ce qui convient bien pour une star musclée au cinéma. S’il pesait plus, il risquerait de paraître comique à l’écran et serait caricatural plutôt qu’effrayant ou impressionnant. Certes, il serait moins bien classé au concours Olympia, mais il a meilleure allure – il est plus beau qu’il ne l’a jamais été. “Je peux prendre n’importe quel look,” affirme-t-il. “Si on veut que je pèse 110 kg pour interpréter le prochain Terminator, il me suffirait de six semaines pour y arriver. Si on veut que je descende à 90 kg, c’est réalisable en quelques jours.” Ce penchant de Kevin pour réussir des métamorphoses rapides avant des compétitions de bodybuilding indique qu’il n’exagère pas. Il y a la formation théâtrale dite “Method acting” et il y a la mémoire du muscle. Kevin a conjugué les deux: appelons le résultat “Méthode du muscle.”

LE COMPAGNON SECRET
Joseph Conrad a écrit sur l’impérialisme dans des régions éloignées du globe et, à certains égards, cela rappelle le nouvel objectif de Kevin: conquérir le monde d’Hollywood par son incursion dans les tropiques. Dans l’un des romans de Conrad, Le compagnon secret, un jeune capitaine recueille à bord de son navire un meurtrier en cavale. À mesure que le récit progresse, une question commence à se faire jour: le passager clandestin est-il vraiment un individu ou simplement le côté sombre de la personnalité du capitaine?
Il est intéressant de voir comment l’histoire de Conrad reflète les thèmes de la vie de Kevin. Dans les bureaux de Weider, depuis des années, on connaît cet athlète comme le Jekyll et Hyde du bodybuilding. Le bon Kevin téléphone sans aucune raison, juste pour discuter. Le mauvais Kevin ne vous rappelle pas; pire encore, quand il décroche le téléphone, il vous lance un “ouais?” d’un ton grognon et vous parle presque comme si vous étiez un étranger. Pourtant, aujourd’hui, il est dans la peau d’un autre personnage, assis dans un bar, dans un coin perdu de la Trinité, et Hollywood a loué ses services pour qu’il incarne un assassin. La vie de Kevin est pleine de ces dichotomies et de ces dualités.
“Les méchants sont intéressants. À quoi pensent-ils quand ils sont sur le point de tuer quelqu’un? Je veux être acteur parce que je tiens à explorer toute la gamme des émotions: cela n’empêche pas que j’adore qu’on reconnaisse ma valeur. Pour moi, être sur une scène de bodybuilding était génial, non seulement pour l’attention qu’on me portait, mais aussi pour être récompensé. En un instant, on reçoit une récompense et puis, on s’en va et c’est terminé. J’ai arrêté la compétition. Je suis arrivé au plus haut niveau et j’ai envie d’un nouveau challenge.”

COULEUR LOCALE
Le tournage de Backlash se déroule à divers endroits de la Trinité. Un jour, on filme à proximité de The Savannah, sorte de “Central Park” de la Trinité. Pour quelqu’un qui n’est pas du coin, cela ressemble à un vaste terrain de football dénudé par endroits, bordé par des parcs à bestiaux, des silos à grains et les docks bruyants de Port au Spain. Les gens du pays sont très fiers de The Savannah. Les demeures coloniales délabrées qui en flanquent un des côtés sont, en même temps, une source de nationalisme et un bras d’honneur adressé aux oppresseurs du passé. Des badauds se rassemblent pour regarder le tournage du film et, sans attendre, la presse de la ville a réalisé des interviews de toutes les vedettes à la fois. Apparemment, tout le monde sur l’île est au courant de Backlash. À chaque nouvel endroit se forment des groupes qui font penser à des promeneurs du vendredi. La Trinité est un endroit étouffant, mais pas désagréable; sa diversité raciale remonte à l’époque du commerce des esclaves qui a été suivie par l’arrivée de Chinois, d’Hindous et d’impérialistes européens. Aujourd’hui, tous ces groupes sont présents dans les rues de Port au Spain.
C’est la saison des pluies (elle dure de juin à décembre) et, au moins une fois par jour, c’est un déluge qui stoppe brutalement le tournage. Il pleut pendant 15 à 20 minutes, puis le ciel s’éclaircit de nouveau et l’on reprend la dernière scène avec les trottoirs encore fumants de vapeur. Les habitants sont sympathiques et offrent une version idyllique, mais édifiante de leur partie du monde. “Par temps clair, on voit le Venezuela,” affirme un chauffeur de taxi, indiquant l’horizon du doigt, tandis qu’il s’éloigne de l’aéroport. Ce pays, dont le pétrole fait sa richesse, se trouve là-bas, dans la brume, à une douzaine de kilomètres de l’extrémité de son doigt.
“C’est comment?’’
“C’est magnifique, mais n’y allez pas.” Le chauffeur de taxi continue de débiter sa litanie de tentations et d’horreurs. “Si une fille veut vous accompagner, n’y allez pas. Si vous y allez, ne prenez qu’un peu d’argent. Laissez votre portefeuille chez vous. Si vous y allez, portez une protection.” Pour être plus explicite, il enfile son avant-bras dans un article imaginaire en latex: le geste est inquiétant et impressionnant.

AU CŒUR DES TÉNÈBRES
Au cœur des ténèbres – le roman de Conrad qui a inspiré le film Apocalypse Now – est un voyage au fin fond de la jungle pour affronter ce qu’il y a de plus sombre en nous, pour voir si le sentiment de notre propre identité vaut la peine d’être préservé quand nous sommes confrontés à des situations extrêmes. Il est particulièrement ironique que ce soit ainsi que Kevin ait choisi de se métamorphoser et, de ce fait, de renouer avec les démons de son passé.
“Touche-moi un peu ça,” dit-il en me tendant un cigare roulé serré. “Il est bien serré.” Kevin passe le cigare à Rambo: celui-ci le met dans sa bouche, l’allume et le lui rend. Kevin tire des bouffées par intermittences.
“Mon père est mort d’une leucémie deux semaines avant Noël; j’avais sept ans,” déclare-t-il avec une amertume qui rend palpable cette douleur passée et qui indique qu’elle est liée à son cheminement actuel. “J’étais furieux contre Dieu. Je ne comprenais pas. Maintenant, je peux revivre cette émotion et l’appliquer à Turk. Qu’est-ce qui a fait de lui un assassin? J’avais besoin de réponses et je pense que Turk cherche des réponses. Grâce au métier d’acteur, je peux revenir sur des choses qui sont arrivées dans ma vie. C’est comme une thérapie. Je peux passer des heures et des heures seul, à réfléchir. J’aime être seul. C’est dans cette solitude qu’habite le cœur.”
Néanmoins, dans cette entreprise, Kevin n’est pas seul. Il n’a pas encore réuni d’entourage, mais il a commencé en faisant venir avec lui son colocataire de Los Angeles, le pasteur Mike. “Si je me suis engagé dans cette voie, c’est en partie pour amener un peu de christianisme à Hollywood,” avoue Kevin tandis que son cigare laisse échapper une traînée de fumée à travers le bar.
Chaque jour, le pasteur Mike accompagne Kevin sur le tournage; il reste souvent avec lui une fois qu’il a terminé ses scènes. “Je suis ici pour tenir compagnie à Kevin, pour voir le film, pour voir la Trinité et pour prier si quelqu’un a besoin d’une prière,” précise le Pasteur Mike. C’est un jeune gars venu de l’Indiana: il ressemble davantage à un spectateur des X Games qu’à quelqu’un qui prêche derrière un pupitre. Toutefois, sa présence est assez facile à expliquer: un pèlerinage spirituel ou une excursion impériale vers un pays lointain ne sauraient être complets sans la présence d’un missionnaire.
Kevin s’est donc embarqué dans la carrière d’acteur et il ne fait plus de compétition de bodybuilding chez les pros. “Je n’ai jamais annoncé que je raccrochais parce que je n’ai jamais ressenti le besoin de le faire,” affirme-t-il. Il se pourrait qu’il ait raison: une retraite sportive n’est peut-être pas un évènement en soi, mais simplement un processus que l’on ne peut localiser avec précision qu’une fois qu’il appartient définitivement au passé.
“J’ai le meilleur palmarès dans les annales du bodybuilding: plus de victoires, plus de places de second que n’importe qui.” Il fait une pause, laissant voir une certaine hésitation. “C’est exact?’’ demande-t-il pour qu’on vérifie. Oui, c’est exact: vingt victoires et 18 titres de vice champion. Pour lui, les détails de ses succès n’ont pas grande importance. Il est incapable de vous dire quelle place il a obtenu à Olympia 1994 ou 1995. “Je crois que j’ai fait troisième ou quatrième,” (En fait, troisième, puis second.) mais j’aurais dû gagner Olympia en 2000.” Ses déceptions l’ont marqué bien plus que ses triomphes.

CONTRECOUP DE CARRIÈRE
D’après tous ceux qui travaillent avec lui, son projet ne va pas se limiter à un seul film qui fait suite à ses vidéos et marquera la fin de sa carrière à Hollywood. Autant le producteur que le réalisateur de Backlash sont enthousiastes à propos de Kevin et de son potentiel: s’ils l’ont choisi, ce n’est pas parce que, de tous les candidats, il était celui qui avait le physique le plus effrayant.
“C’est sa photo qui a retenu mon attention” déclare le producteur, G. Anthony Joseph. “Et puis j’ai vu ses scènes. Ses prestations allaient au-delà de ce que fait un acteur: elles laissaient transparaître une qualité de star, du charisme. Franchement, j’étais sous le choc.” G – comme l’appelle amicalement tout le monde sur le plateau – a produit quatre autres films, The Eliminator et The Vault pour sa société, Triton Northstar Entertainment. Originaire de la Trinité, il habite aujourd’hui à Los Angeles. G est réservé et, comme c’est souvent le cas chez les producteurs indépendants, il minimise autant ses succès que ses budgets. “Nous faisons des films qui reviennent entre 400 000 dollars et 3 millions de dollars,” déclare-t-il quand on lui demande combien coûtera la réalisation de Backlash.
Dave Chameides (ER, New York 911), qui tourne un long métrage pour la première fois, se fait l’écho des louanges de G à l’égard du talent de Kevin. “Il y avait un ou deux autres gars que j’aurais volontiers inclus dans le casting avant d’avoir vu Levrone, mais on a commencé à parler du personnage et j’ai été agréablement surpris par ce que Kevin apportait au rôle. Il a un look génial, une excellente présence. J’aimerais le voir jouer dans un rôle dramatique sans rapport avec son personnage habituel. C’est un vrai professionnel. Tout le monde ne cesse de dire ‘Arnold, Arnold, Arnold.’”
Pour entamer sa carrière d’acteur, Kevin a pris (et continue de prendre) des cours d’art dramatique au Beverly Hills Playhouse, institut très prisé. Après s’être bien renseigné, il est venu s’installer à Hollywood et a engagé Lee Solters qui a été le relationniste de Michael Jackson et de Frank Sinatra. “Dès que j’ai rencontré Lee, j’ai su que je voulais que ce soit lui qui me représente,” fait observer Kevin. “Il a environ 80 ans et il s’y connaît vraiment. Il a une grande sagesse et est aussi passionné que Joe Weider. Je lui ai dit qu’il me faisait penser à Joe.”
La nouvelle carrière de Kevin va-t-elle durer? Il est facile de se moquer, mais n’oublions pas ce qu’il a accompli dans le domaine musical avec son groupe Fulblown: ces gars étaient bons et Kevin continue aussi de poursuivre son rêve. “C’était trop difficile de mener de front le bodybuilding et la musique: il n’y avait aucune synergie. Par contre, maintenant, je peux me consacrer à la musique et au cinéma: les deux vont bien ensemble.”
À la Trinité, ceux qui travaillent à la réalisation de Backlash ne parlent jamais des fans que Kevin compte dans le monde entier. Si l’équipe du film doit lui prodiguer des louanges, ce sera uniquement pour son talent d’acteur néophyte. Il se pourrait cependant que Kevin soit sous-estimé. “Je peux entrer dans n’importe quel restaurant de n’importe quel pays et on me reconnaîtra,” déclare Kevin, plaçant le cigare entre ses dents. La gloire que lui vaut sa carrière de bodybuilder est spéciale et on ne peut que se demander s’il deviendra encore plus célèbre en tant qu’acteur. Impossible de répondre pour l’instant. Par contre, que l’on n’oublie pas ceci: Kevin Levrone, vu sous certains angles, avec son cigare fiché nonchalamment au coin de sa bouche, son expression impassible et son front proéminent, ressemble de façon frappante à Arnold Schwarzenegger. Si vous ne l’avez pas encore remarqué, cela ne saurait tarder!

MODÈLE À L’ÉCRAN L’HOMME QUI A LE PLUS INFLUENCÉ KEVIN
>> “Après le Show of Strength GNC 2003, je me suis souvenu de ce qu’Arnold m’avait dit quand nous étions sur le plateau de son film La fin des temps, à savoir que quand on est sur le point d’arrêter la compétition de bodybuilding, il faut veiller à être prêt à 100% de façon à se donner à fond dans la carrière d’acteur. Arnold m’a dit [aussi]: ‘Il faut également mincir.’ Je me suis dit: ‘D’accord [rires], je suis capable de mincir,’ et je lui ai répondu: ‘Tu sais, je pense qu’il est temps que j’aille m’installer en Californie.’” M&F
JANVIER 2006