LA PROCHAINE
RÉVOLUTION
Un régime personnalisé élaboré en fonction de notre ADN? Le terme “bio” qui devient aussi courant que celui de “light“? Nous avons convié des spécialistes de la nutrition à une table ronde: ils nous livrent leurs réflexions sur ce que pourrait être la prochaine mode diététique et sur ce qu’elle devrait être.
PROPOS RECUEILLIS PAR JEFF O’CONNELL
M&F: La vogue hypoglucidique représenté par les régimes Atkins et South Beach touche-t-elle à son terme?
Larry Krug, co-fondateur de eatwize.com et conseiller en nutrition du programme From Flab to Fab sur VH1: Il est difficile de dire combien de temps ce genre d’engouement va durer. Le régime Atkins est souvent décrié par la communauté scientifique et nutritionniste parce que l’on sait qu’il a beaucoup d’inconvénients, mais le marketing est tellement perfectionné que de telles inquiétudes peuvent être balayées dans l’esprit des consommateurs. Une dizaine d’années pourraient s’écouler avant que l’on se dise: “Il y a quelque chose qui cloche.” Subway fait de la publicité pour ses sandwichs “light” et les gens se disent: “Subway, c’est bon.”
Jeff Feliciano, directeur de la recherche et de l’assurance qualité chez Weider Global Nutrition: Je pense que l’on n’est pas prêt de voir la fin de ce régime. Il s’essouffle peut-être un peu pour ce qui est des suppléments, mais les grandes marques qui ont fait plancher leur service R&D [recherche et développement] sur l’approche hypoglucidique mettent enfin sur le marché des produits qui ne sont franchement pas mauvais. Par ailleurs, à défaut d’autre chose, bon nombre de recherches confirment l’avantage d’une consommation faible de sucres.
Jonny Bowden, auteur du best seller Living the Low Carb Life (Sterling Publishing, 2004), expert minceur sur iVillage.com: Je pense qu’il y aura une réaction brutale contre ce type de régimes d’amincissement, mais pour l’instant ils ne cèdent pas du terrain. On a beaucoup exagéré quand on a dit qu’ils étaient finis.
M&F: Pourquoi y aurait-il une réaction brutale?
Bowden: L’industrie qui défend l’approche hypoglucidique s’est fourvoyée quand elle a laissé entendre que l’on pouvait manger tout ce que l’on veut à condition que les glucides en soient quasiment exclus. Pourquoi? Parce que les gens veulent des réponses brèves à des questions complexes. Ce que nous avons retenu de cette stratégie hypoglucidique, c’est que l’on pouvait avaler n’importe quoi à condition que ce soit presque totalement dépourvu de glucides. Ah bon? Je pensais que je pouvais manger deux hamburgers et 10 tranches de bacon et deux poulets par jour pourvu qu’il n’y ait presque pas de glucides. Certainement pas!
C’est la même erreur qui a été commise dans le cadre de l’approche hypolipidique. Résultat, on dénombre actuellement près de 1 800 produits “light” sur le marché, dont beaucoup de cochonneries. À Los Angeles, ils ont même de l’eau allégée en glucides. On croit rêver et je n’invente rien! Les gens se goinfrent donc de ces produits soi-disant “minceur” en pensant que, de cette façon, ils réduisent leur consommation de sucres. Évidemment, ils ne vont pas maigrir et le retour de manivelle sera donc: “Vous voyez, le régime light ne marche pas.”
En fait, il marche merveilleusement bien s’il est structuré correctement. Malheureusement, il est dévoyé et déformé par cet empressement général à commercialiser toute cette malbouffe.
Mauro Di Pasquale, expert mondialement connu en nutrition et en médecine du sport, et auteur de The Metabolic Diet: Les questions fondamentales soulevées par le régime hypoglucidique restent importantes comme, par exemple, la surconsommation de sucres raffinés et l’augmentation assez spectaculaire du taux d’insuline. Je pense que nous ne reviendrons jamais à la phase qui a précédé l’apparition de ces régimes à restriction glucidique. Néanmoins, les gens vont s’apercevoir qu’il existe aussi d’autres stratégies alimentaires et que celle qui leur convient le mieux est légèrement différente du point de vue de la composition en macronutriments: pour autant, on ne perdra pas de vue les bienfaits réels pour la santé qui vont de pair avec une diminution des sucres raffinés.
M&F: Si vous pensez qu’il va y avoir un revirement soudain, quelle nouvelle tendance va combler ce vide?
Christopher R. Mohr, qui prépare un doctorat de physiologie à l’université de Pittsburgh: Eh bien, vu que nous avons diabolisé les graisses au début des années 2000, ce devrait être le tour des protéines! Toutefois, je ne pense pas que l’on se débarrasse de ces nutriments-là et j’ai du mal à imaginer ce que sera la prochaine mode. J’espère qu’il n’y en aura pas et que l’on s’orientera plutôt vers une logique de modération. J’aimerais que l’on parle plus du régime de type méditerranéen qui offre un meilleur équilibre des macronutriments et que l’on se focalise davantage sur les types de macronutriments plutôt que sur l’élimination pure et simple de tel ou tel macronutriment.
Di Pasquale: Le régime de type “alterné” que je défends depuis ces dix dernières années est probablement celui qui va s’imposer parce qu’il offre tellement d’avantages par rapport aux régimes hypoglucidiques. Il requiert une certaine restriction des sucres, suivie d’une phase caractérisée par moins de lipides mais plus de sucres, ce qui permet d’optimiser la réponse à diverses hormones, dont l’insuline. Les régimes à restriction glucidique ont abaissé la réponse insulinique: il convient pourtant de rappeler que l’insuline est une hormone anabolisante.
M&F: Qu’est-ce qui se profile à l’horizon que nous n’avons pas encore entrevu?
Krug: Difficile à dire: quel sera le prochain iPod pour l’industrie diététique? Personne ne le sait avec certitude. Cela dit, je pense vraiment que c’est le “bio” qui va être la prochaine révolution. Aujourd’hui, on commence à se méfier de l’industrie de la viande, des pesticides et de tout le reste.
Bowden: Le “bio” touche déjà certains créneaux. Les gens commencent à comprendre que leurs aliments sont contaminés. En ce moment, on nous met en garde contre le saumon alors que ce poisson est recommandé par les nutritionnistes de tous bords. La consommation d’aliments non dénaturés est au moins aussi importante que le rapport de sucres, de protéines et de graisses qu’ils contiennent. Les élevages en batteries sont non seulement révoltants du point de vue humanitaire, mais également néfastes pour la santé à cause des antibiotiques que l’on administre aux animaux pour éviter qu’ils ne tombent malades dans des conditions aussi effroyables, et à cause des stéroïdes qu’on leur donne pour qu’ils puissent être commercialisables. Il faut que les gens prennent conscience de cela.
Personnellement, je suis partisan de [faire connaître] l’effet des aliments sur les hormones, leur action sur l’insuline et le glucagon ainsi que l’impact de ces hormones sur les risques de surpoids et de diabète. Cela dit, si je devais choisir entre un régime à base de junk food “light” et un régime modérément glucidique composé d’aliments bio riches en fibres, j’opterais immédiatement pour le second. La qualité de la nourriture compte au moins autant que les proportions.
M&F: Qu’entrevoyez-vous à court terme, Jeff?
Feliciano: Dans un avenir assez proche, à mesure que les gens vieillissent, ils vont devoir se préoccuper nettement plus du bon état de leurs gencives, de leurs sinus et de leur appareil digestif en raison d’une plus grande exposition de ces tissus à des atteintes chimiques et pathologiques. Aujourd’hui, ces tissus sont chroniquement infectés. Vu que le système immunitaire est constamment désorganisé, il est très difficile de le ramener à sa fonction normale. On assiste maintenant à toutes sortes d’effets délétères qui sont la conséquence d’infections des sinus, du mauvais état des gencives, d’angines chroniques et des troubles gastro-intestinaux. En raison du niveau actuel de pollution des aliments, de l’air et de l’eau ainsi que du stress quotidien, il existe un besoin d’actions prophylactiques et d’un meilleur soutien nutritionnel.
M&F: Comment est-ce qu’un régime pourrait protéger ces tissus qui sont nos “premières lignes de défense” et renforcer notre capacité à nous prémunir contre les maladies. Quelles sortes d’antidotes nutritionnels offrent le meilleur potentiel pour le grand public?
Feliciano: Une bonne hygiène quotidienne des sinus et des gencives est à la portée de tous, mais il n’en va pas de même du bon état de l’appareil digestif. Il faut veiller à manger assez de fibres, mais parmi d’autres armes de défense, on peut citer les probiotiques et l’immunoglobuline G [IGG]. Cet isolat issu du sérum bovin est très prometteur car il offre une protection générale importante, y compris pour l’appareil digestif. De nombreux fabricants de suppléments proposent des produits à base d’IGG. Chaque année, il semble que l’on découvre de nouvelles applications de cette substance.
M&F: À plus long terme et dans le cadre plus spécifique des macronutriments, peut-on s’attendre à quelque chose de vraiment conséquent?
Bowden: Au cours de la prochaine décennie, la tendance majeure qui va se dessiner est celle des test génétiques, c’est-à-dire le ciblage des gènes, des hormones et des enzymes qui régissent le stockage adipeux et la perte de graisse. On va aussi assister au rush des laboratoires pour se lancer dans la course. On n’a pas besoin d’être un génie pour voir que certains produits pharmaceutiques sont efficaces pour certaines personnes, mais pas pour d’autres.
C’est exactement ce qui se passe dans le domaine de l’amincissement. On commence à observer qu’il existe différents types de métabolisme. Évidemment, tout le monde ne réagit pas de la même manière aux diverses répartitions des macronutriment, tout comme chacun réagit différemment aux antidépresseurs ou autres médicaments. S’il y a effectivement un grand changement, ce sera la prise de conscience que l’on ne peut pas suivre forcément un régime standard, mais qu’il importe que chacun le module afin qu’il soit efficace.
Di Pasquale: Mon régime métabolique propose deux points de départ différents: on peut le commencer en restreignant les glucides, soit fortement, soit modérément et on détermine ensuite la meilleure combinaison de macronutriments. C’est vraiment un “régime découverte.” Ce que j’essaie de faire actuellement, c’est de définir certains paramètres — basés sur les urines et sur le sang — qui constitueront un repère diététique de démarrage pour l’utilisateur: par exemple, en raison du fonctionnement du métabolisme de l’individu, ce paramètre pourrait être relatif à la dégradation plus ou moins facile des graisses consommées plutôt qu’à une augmentation de la ration glucidique.
Le nec plus ultra sera le recours à la génomique nutritionnelle, approche toute récente où l’on teste un grand nombre de gènes ainsi que les interactions de ces gènes avec les nutriments. À ce stade, on sera en mesure d’élaborer le régime qui, en gros, est en adéquation avec le patrimoine génétique de chacun. C’est cette tendance qui va s’affirmer au cours des 10 prochaines années. M&F
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